Des Livres pour revenir à Soi Etre Seule La Femme La Femme Sauvage

Chez nous, où-est-ce ?

Chez nous, c’est là où une pensée, un sentiment peuvent être alimentés et non-interrompus ou nous être arrachés parce que notre temps et notre attention sont requis ailleurs.

Femmes qui courent avec les loups. Clarissa Pinkola Estés.

Je me demande si je cesserais un jour d’être en quête de chez-moi.

Il y a bien sûr la maison. Ses murs solides de pierre, son toit, ses fenêtres bien fermées quand ça vente, et dedans le confort, la chaleur, un thé chaud, une douche, de quoi s’allonger tendrement, le repos. Les travaux incessants, la peinture fraîche, de nouvelles étagères, des bacs à fleurs en bois tout le long du muret, une jolie cuisine aux carreaux de métro, la dernière, une cocotte Le Creuset rose douceur, trois grands lits fabuleux, des milliers de coussins, des livres à n’en plus finir, des crayons, des pinceaux, la lessive, des glaces au congél, des papiers à trier, l’heure dôrée en été, des fleurs fânées, des rideaux chaleureux, des mobiles suspendus.

Il y a aussi l’entourage. De vastes bras sans fin qui entourent nos pas, les encouragent, les supportent, les retiennent. La maison câline de l’amour justifié, les baisers collants des enfants, les regards tendres des timides, le canapé où l’on se mêle à la fin des jours mouvementés, quelqu’un à qui pleurer que l’on est fatigué. Un panier où poser le masque, enlever ses chaussures, se défaire de l’habit du dehors, celui du monde d’en-haut.

Mais cela est un leurre. Ce serait trop facile, un toit pour tout le monde, des parents doux et présents, des gens aimants tout le temps, une vie à apprendre, mais guidée et sécure…

Chez moi, c’est un ailleurs que je trouve par moments. Instants furtifs, évanescence mais quand je sens que j’ai trouvé, je suis la femme la plus forte du monde. Dans mon ventre la chaleur, un toit, des murs solides, tout le confort rêvé, de l’eau chaude pour le thé, toujours, cette tasse fumante, réconfort ultime et quotidien, cette évaporation des sens vers le monde extérieur. Dans mon coeur, l’envie folle de tout distribuer, tout donner : prenez, ma maison est ici, si grande, y a de la place pour tout le monde!

Chez moi, c’est une voix qui souffle en moi, des images qui surviennent et disparaissent aussitôt, des immensités qui me surprennent soudain, dans la fatigue, la fin des pleurs, après le bain, au moment flottant du réveil, après avoir écouté un ami, après m’être confiée à quelqu’un. Une illusion trop souvent, mais c’est un lieu qui existe quelque part.

Chez moi, ça dure longtemps, pourvu que l’on soit compris : le pouvoir qui se niche en moi. C’est une forme de bonheur, une certitude, un abri où que je sois. Chez moi, c’est mon pays imaginaire.

Chez moi, ce sont deux pieds qui, où qu’ils soient, sont à leur place et mon sourire collé avec. C’est une respiration posée, la confiance en moi, suffisante, la certitude d’être avec moi sans m’échapper, où que je sois : je veux dire, souvent, il m’arrive d’avoir la sensation de m’effacer, de me fluidifier, de disparaître même, quand je suis mêlée trop longtemps au contact du monde, trop longtemps soumise à d’autres sons, brassée par trop d’images, trop de pensées, trop de mouvement, trop d’avis divergents. Trop peu de moi parmi tous ceux qui cherchent aussi, n’en doutons pas. Trop peu de place pour me rappeler mon nom, ma voie, mes droits, mes choix, ma voix.

Chez moi, c’est cette bulle que j’appelle en secours, c’est ma vie souterraine, c’est l’assurance où que je sois de rester connectée à moi-même. Un silence, un retour. Et combien de pas en avant ?

Chez moi, c’est les livres, souvent.

C’est un exercice difficile. Etre seule fait partie des moments ressource où je me remplis de cette force, où j’amasse, en réserve pour plus tard, des blocs de confiance, de connaissance, le fruit de mes recherches. Je garde en moi des stocks d’assurance, j’en distribue un peu, je vole au vent suffisamment longtemps et quand je m’épuise, je rentre chez moi, je rebranche mon corps mou à mon Ame, je m’allonge, je ferme les yeux, je me repose. J’écoute la mère en moi. J’écoute la mer en moi.

Je lis d’autres femmes, j’arpente mon jardin, je regarde les saisons s’habiller puis se dévêtir lentement, je note des secrets précieux dans mes carnets, j’observe mes enfants, je crois en la magie, je hûme la pâte à tarte faite à la main, j’arrose mes légumes, je parle aux tomates qui rougissent, je lève les yeux vers lui, l’aigle qui crie là-haut pour m’annoncer un halo de soleil. Je me sens heureuse.

J’apprend à avoir confiance dans ma capacité à habiter ce monde.

A ma façon.

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