Conversation d'été Conversations La Femme

Conversation d’été – Marie –

La Joie, oui, la joie de ce chemin que prennent mes Conversations. La reconnaissance pour tous ces Oui ! L’émotion que cela me procure, doublée de celle que vous aurez sûrement à la lecture de cette nouvelle Conversation d’été. C’est Marie qui se confie aujourd’hui, Marie qui nous raconte et c’est précieux. Bonne lecture.

On a le droit. On peut y aller. On a le droit de ne rien se refuser. De tenter ce qui nous plaît. On a le droit de se donner ce que l’on souhaite.

Marie

Chère Marie , où es-tu, que fais-tu, qu’entends-tu ?

Chère Cenina, je suis assise sur le vieux fauteuil à bascule trouvé ici, dans les combles de cette belle maison normande où je passe mes étés à écrire. J’ai allumé le petit poste de radio offert par ma maman pour mon dernier anniversaire, j’écoute France Musique, Yoyoma y joue Bach. Par le velux que j’ai entrouvert, je peux apercevoir, si je me penche un peu, la mer en contrebas. Ca sent l’iode, je colle mon nez dans ce vent frais – le temps n’est pas au beau, ha comme je suis heureuse. Un chien aboie, dans la rue. Et puis, il y a le bruit des vagues, le bruit du vent qui les pousse, des paysages sonores que je n’ai connus qu’ici. Pour l’heure, je savoure ces quelques minutes comme un cadeau précieux. Mais ensuite, je vais enduire mes mains de crème au calendula et entamer la réaction d’un travail universitaire que je dois rendre à la fin de l’été.

Présentes-toi, qui es-tu ?

Je m’appelle Marie et l’on m’a longtemps surnommée l’Ogresse. J’ai une soif de vie, une soif inassouvie de coeur battant, de tendre, de bouffer de la culture, de danser pieds nus, une soif de peaux et de baisers, une soif de rires. Je suis celle-ci qui se jette dans le vent et dans les vagues en hurlant de joie. Quand je n’écris pas en Normandie, je mène une petite vie dans la ville entre les montagnes, faite de moissons de bouquins à la bibliothèque de mon quartier, de bistrots préférés, d’enfants heureux et de balades à bicyclette. J’y étudie le cinéma, j’y écris des petites choses et j’essaie de faire tenir tout ça debout, d’y insuffler du sens.

C’est l’été ! Qu’évoque cette saison pour toi ? As-tu toujours ressenti cela ? 

Oh, mais l’été pour moi, c’est une saison qui ne s’offre pas, qui se détourne, une saison exigeante qui nécessite, année après année d’être apprivoisée. Je suis une môme de l’été. Je me souviens que, gamine, dans mon petit village de joyeux hippies, le coup de sifflet de la saison était donné par mon anniversaire. Tous les gosses sortaient de l’école et rentraient avec moi, à la maison. Ma mère avait préparé des buffets indécents, collé des tentures au mur, emballé un ballon de foot dans du papier d’aluminium. Elle collait des CD dans la platine et c’était la boum de début de saison, la boum de l’été, celles de mes premiers émois. La tradition a commencé tôt, j’avais 7 ou 8 ans et ne s’est jamais terminée. Je me souviens aussi de ce récit découvert dans un roman de Tove Jansson : la couleur du premier papillon aperçu au printemps donne la tonalité de l’été à venir. J’y crois dur comme fer. Avec mes enfants, nous quêtons les premiers lépidoptères en croisant fort les doigts pour qu’ils soient recouvert d’une pellicule d’or.

De quelle manière « cherches » tu à te sentir bien, à aller mieux, à être heureuse ?

Chercher, je ne sais pas. J’essaie de rester centrée, et puis en mouvement, en léger déséquilibre. J’essaie d’être attentive à ce qui se joue. J’essaie de me placer du côté de la confiance, de l’élan.

Parle-nous de ta féminité … C’est quoi pour toi, être une Femme ?

Il me hérisse, ce terme de féminité, je ne saurais pas t’expliquer pourquoi. Il a quelque chose de réducteur, je l’ai toujours entendu lié à des propos sexistes. Peut-être parce qu’il paraît, à mes yeux, essentialisant. Être une femme ce n’est pas, pour moi, porter du vernis à ongles ou avoir un vagin (puisque, anyway, certaines femmes n’en sont pas dotées). Être une femme, pour moi, c’est subir les reliquats du patriarcat, vivre dans un monde qui n’a pas été pensé dans notre direction, devoir s’adapter, porter de la culpabilité, subir des injonctions contradictoires. Être une femme, ce n’est pas une sinécure !

Et la solitude ? est-ce un moment recherché, attendu ou au contraire, subi pour toi ?

Je crois que ça dépend des moments. Je suis un animal sociable qui se satisfait volontiers d’une vie communautaire ou tribale, faite de moments partagés. J’ai vécu souvent en coloc, y compris avec les enfants et j’ai ADORE ça. Je suis l’aînée d’une fratrie de cinq. Un quotidien, pour moi, se vit dans la musique, le bruit, le mouvement. Je n’aime rien tant que m’éveiller dans une maison qui sent déjà le café et qui bruisse des éveils des autres. Ceci étant, j’ai besoin parfois de m’extraire du monde qui va vite et fort et qui épuise mes ressources émotionnelles. J’ai besoin, parfois, d’aller marcher seule ou de partir en vacances seule. De retrouver le rythme de mon propre souffle.

Qu’évoque pour toi le féminin « sauvage » ?

Encore une fois, pour moi ça évoque quelque chose d’essentialisant. Ca me fait peur. Ca évoque aussi l’idée d’enfermer les femmes dans une définition unique. Ou alors, peut-être, quand je fais l’amour et qu’il n’y a plus de barrières, plus d’enjeux, plus de réflexions, juste un corps qui suit le ressac amoureux, peut-être, alors là, oui. Quelque chose de sauvage, d’incontrôlable.

A quels moments de ta vie t’es tu sentie libre et légère ?

Je me sens libre et légère ici, en Normandie, plus que n’importe où ailleurs. Quand je nage jusqu’à la première bouée, quand je conduis la nuit toutes fenêtres ouvertes en beuglant en yaourt des paroles de chansons, quand je m’endors d’un coup, happée par le sommeil et que je ne mets pas de réveil, que la sieste dure le temps nécessaire. Quand je marche avec la chienne de la maison sur des kilomètres de plage. Ah oui, ah là je me sens libre, et légère.

As-tu déjà dansé sous une pluie d’orage ?

Mais oui ! Je danse partout, tout le temps.

Je me souviens de fois où j’avais collé des écouteurs dans les oreilles de mes amoureux ou amoureuses et nous dansions ainsi, je me souviens de fois où je dansais une rue d’Avignon, au son d’un piano abandonné là au dernier jour du festival, je me souviens de la dernière fois que j’ai dansé sous une pluie d’orage, je venais de garer mon vélo sous les fenêtres d’un garçon, c’était l’été, le vent était FOU, j’avais failli tomber un paquet de fois en pédalant, j’étais gaie mais gaie, de ce vent tiède de l’été, de cette pluie douce que j’entendais s’intensifier sous le porche où je me réfugiais, de cette sensation d’avoir une vie devant moi, sans limite de temps, et j’avais sauté la marche pour danser ma joie sous l’orage qui grondait et à qui je criais qu’il ne me faisait pas peur.

Que ferais-tu d’une journée à toi ? et juste une heure ?

Une sieste ?

Je commencerai, certainement, ma journée par un long petit déjeuner avec plein de chouettes choses à déguster (j’ADORE manger !), l’enceinte branchée sur Fip, une grille de mots fléchés devant moi.

Je lirais, c’est sûr. Je pâtisserais sans doute. Je rêverais à mes enfants, à leurs petites vies quand ils sont loin de moi, à ce qui ne m’appartient pas. J’irais marcher.

Quelle est ta manière de prendre du temps pour toi ? As-tu un rituel qui te fait du bien et que tu acceptes de partager ?

Prendre du temps pour moi c’est juste le dire, je crois.

Dire ; là je suis seule, désolée je n’accepte aucun travail, les enfants vont dans la maison de la Comtesse avec leur grand-mère, la maison où leur père en son temps passait ses plus belles vacances, je pars, j’emmène mes bouquins, ma radio, ma gourde et roulez jeunesse.

Dans le quotidien, c’est plus difficile. Je suis souvent avec les minouches, je ne veux rien rater de nos moment partagés ! Mais je crois que oui, savoir dire : maintenant c’est moi. Le reste attendra. Se le dire à soi. Le dire aux autres. Délimiter les frontières d’une solitude et s’y plonger le temps nécessaire.

Réussis- tu à combiner même un petit peu tes rôles de Femme Mère Épouse Amie ? Comment t’organises-tu ?

Je crois que je ne cherche pas à cloisonner, ni à m’enfermer dans des rôles. Je suis une seule personne, je traverse la vie avec mes sautillements et ma gravité aussi. J’essaie d’être présente, en conscience à chaque instant. Pour le reste… je suis moi, moi face aux autres, en tout temps. Et puis l’amour ne se soustraie pas, alors le mien tourbillonne en direction de ma tribu, de ceux que j’aime, sans distinction ni catégorisation, chaque relation est unique et s’accommode d’un amour singulier. Pour le reste, la question du temps consacré à chacun·e, à moi-même, c’est variable et contextuel mais j’essaie d’être à l’écoute des attentes des autres (je n’y parviens pas toujours) et puis des miennes. Ensuite, c’est l’art de la jonglerie (je me prends des balles sur le nez souvent, soyons honnêtes, mais je commence à me dire que c’est OK et qu’on ne peut pas tout intellectualiser et contrôler)

Au printemps, quel est ton moment préféré de la journée ?

En toute saison, j’aime les matins tôt, et la golden hour.

As-tu dans ton chez-toi, une chambre à toi , c’est à dire, un petit endroit rien qu’à toi pour rêver, réfléchir, te reposer, écrire, dessiner, créer ? Que représente cette pièce pour toi ?

Pour l’heure, je n’en ai plus. Je vis dans un tout petit appartement bohème qui ne comporte qu’une chambre, qui est le territoire de mes enfants. J’ai moi-même un lit dans une alcôve du salon, fermée par un grand rideau bleu. Mais ça ne durera pas. Je suis en train d’acheter une maison avec leur papa, une chouette maison des années vingt dans la ville entre les montagnes, dont nous allons redessiner les plans de façon à avoir chacun nos espaces, la nursery faisant office de lien entre les deux appartements. J’aurai, alors, une chambre sous les combles comme celle dans laquelle je me trouve actuellement, une grande chambre rien que pour moi. J’en rêve, j’en crève d’impatience. Une pièce à soi, ça me paraît tellement nécessaire, pour chacun·e.

Cultives tu un jardin ? un petit bout de balcon ? qu’y fais-tu pousser ? Que ressens-tu quand ça fonctionne?

J’ai des fraisiers, des oeillets, de la menthe, de la sauge. Je fais parfois germer des graines de roquettes aussi. Mais c’est surtout mon fils qui s’en occupe, mon grand garçon méticuleux et attentif. Je n’ai pas la patience, je suis une fille du mouvement et quand je ralentis, c’est pour me plonger toute entière dans le sommeil ou la lecture. Je ne suis pas une manuelle, ou du moins je n’a jamais essayé de l’être. Je me sens déjà chanceuse que mon bon vieux ficus soit resté en vie ces quinze dernières années, malgré mon peu d’attention et mes déménagements répétés.

Thé ou café ?

Café ! Un grand bol chaque matin, et parfois plus.

Lève-tôt ou couche-tard ?

Les deux (et beaucoup de fatigue, de fait)

les petites heures du matin pour moi, rien que pour moi.

Les grandes nuits festives et fauves

Aux beaux jours, quel est l’accessoire ou le vêtement qui te fait te sentir belle ?

Les vêtements légers qui flottent dans le vent et effleurent ma peau, et puis le hâle léger qu’elle arbore dès que le soleil pointe son nez, les restes de mon enfance caribéenne, je suppose.

Comment s’exprime ta créativité ?

Par l’écriture, je crois. Elle arrive sans que je m’y attende et soudain, j’ai quelque chose à raconter, je suis prise par cette fougue là. Mais après, il faut retravailler, reprendre le texte, construire une narration, choisir les mots, repenser la cohérence et c’est beaucoup plus ingrat (ou du moins, ça le serait moins si j’avais l’impression que ça ne me prenait pas de temps sur d’autres choses)

Qu’est-ce qui t’inspires ?

Les femmes, des modèles d’autres femmes.

L’observation des petits détails du quotidien. Les rêves, parfois.

Le coin des p’tits préférés

  • ton rouge à lèvre préféré ?  Je n’en porte pas
  • tes collants préférés ? Épais et en laine (je ne porte des jupes que l’hiver)
  • ta crême préférée ? J’ai une crème hydratante de Jonzac mais elle n’est ma préférée que par défaut, je ne change jamais de routine de soin.
  • Ton thé préféré ? Aux agrumes !
  • ton film ( ou série) préféré(e) ? L’une chante l’autre pas, d’Agnes Varda, un très beau portrait croisé de deux femmes qui se cherchent, dans leurs chemins de femmes justement, dans un monde pas toujours simples pour elles, qui cherchent leur juste place, l’endroit où elles se sentiront justes. Il y a des couleurs, des chansons, de la sororité. Le film a été fabriqué à toute petite échelle, avec des militantes du planning familial, des ouvrières d’usines, des chanteuses qui jouent leurs propres rôles. Il donne envie de lutter en s’amusant. C’est très gai et très fort.
Paul Eluard – L’amour la Poésie

Les secrets de Reines

  • Acceptes-tu de partager une recette de saison adorée Oui ! Mon petit déjeuner de printemps c’est : du yaourt de soja mêlé d’une cuillère de flocons d’avoines et d’une autre de purée de cacahuète. J’y dépose des fruits frais (et le printemps pour ça, c’est joie ! Joie !), des poignées d’oléagineux, des cramberries parfois de la coco rapée ou des pépites de chocolat.
  • As-tu un secret de femme que tu souhaites confier, transmettre à d’autres femmes ? Peut-être, se souvenir de cette idée, essayer de la convoquer même quand elle fugue que : on a le droit. On peut y aller. On a le droit de ne rien se refuser. De tenter ce qui nous plait. On a le droit de se donner ce que l’on souhaite. On a le droit de dire merde aux conséquences. Est-ce qu’on a des comptes à rendre ? Souvent, c’est à nous-même.
  • Quand rien ne va, prends-tu extrêmement soin de toi ? – Si oui, de quelle façon le fais-tu ? Je vais… me coucher ! Souvent, quand rien ne va, c’est que je suis épuisée. Dans ces cas là, dormir dix minutes, une heure ou une nuit c’est le seul remède.
  • Comment vis-tu le temps qui passe, le fait de prendre de l’âge, de changer physiquement ? As-tu une recette de jeunesse que tu acceptes de partager ? Je ne partagerai jamais de recette de jeunesse parce que je ne tiens pas forcément à le rester, jeune. J’accueille avec bonhommie les petites rides aux coins de mes yeux, mes sourcils blancs (!), le pli de peau en haut de mon décolleté, mes seins plus lourds. Mais en dehors de choses que je suis sûrement seule à voir, il est difficile de détecter mon âge, on me trouve souvent plus jeune que je ne suis. Je ferais peut-être moins la maligne dans quelques années.

Une question que tu poserais , toi, à une autre femme dans une Conversation de Saison ?

Quels sont tes modèles, tes inspirations féminines, comment les rencontres-tu ? Marie, merci pour cette question superbe !

Partages-nous ta citation ( ou tes !) préférée :

Femme du tréfonds des univers
femme coulée d’argile et d’or
femme cadeau de l’enfer
femme trophée de guerre
femme souveraine des hommes
femme entrailles d’abondance
au visage de ma mère
au visage de ma sœur
au visage de l’inconnue
le verdict entaché de larmes éternelles
lavant draps oreillers et matelas
de la matrice à la tombe
dis-moi pourquoi tes tripes logent
l’amertume le pardon le remords
l’acceptation la révolte la colère
sous les côtes de l’autre
le mâle endimanché
de son glaive de son poing
de son fusil de son discours
gouffre qui te fascine
en un souffle rauque
sous la dureté du ventre
douce femelle sans saison
ta renaissance viendra de l’obscurité
en éclats de lumière inespérée
car tes os poussiéreux
sont pureté de diamant
l’éternité sous des décombres.

Savannah Savary, « Femme » dans Terre de femme

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Marie, tu le sais déjà, j’ai pleuré, j’ai ri, j’ai frissonné, j’ai remercié le ciel d’été de ce samedi pour les émotions que m’ont procurées tes mots. Je suis certaine que je ne serai pas la seule.

Merci pour tout ce que tu donnes dans cette Conversation d’été, pour ton courage, ton audace et tes photos de liberté.

Marie est là, sur Instagram, si ça vous dit, elle écrit bien, si bien, elle vit tellement fort, c’est beau, c’est la vraie vie, c’est l’amour flou en devenir, c’est doux , @marielucarne

Je vous embrasse, prenez soin de vous,

Cenina

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