Juste après la nuit,

Je me lève tôt. La plupart du temps, sans problème malgré certains jours, les yeux mi-clos, avec quelques minutes ou un petit quart d’heure de plus, mais je me lève tôt.

6h20. 6h30. 6h45 maximum.

Je me glisse endormie dans mon bureau, souvent sans prendre le temps d’ouvrir les volets. J’allume la petite lampe bleue, je cherche mon carnet du moment, mon stylo merveilleux, je plie mes jambes sous moi, je m’installe au bout gauche du canapé, telle une renarde qui tourne plusieurs fois avant de trouver sa place.

L’été, je reste bras et jambes nues. Je note la date. Je note la Lune . Je note mon état, celui de ma motivation, est ce que je me sens bien, en forme, énergique, pleine de promesses pour cette nouvelle journée ? Est ce que je me sens usée, dans une latence de repos, courbée, avec un courage relatif ? Est ce que je me sens en colère, frustrée, peu fière, manquante ? Est ce que je me sens vivante, tranquille, assurée, guidée, sûre ?

Souvent, je parle de l’hier. Hier, les paroles entendues. Hier, le temps. Hier, le ou les petits événements marquants. Hier, les actions réalisées. Hier, le temps de rien. Je note ce bout d’hier vécu après avoir écrit le matin, au réveil, l’état de flottement entre rêve et réalité, celui de juste après la nuit. Hier, ce qui a existé.

Je note aussi mes pensées. Exercice périlleux qui peut n’avoir aucune fin. Je joue pendant quelques minutes à noter tel quel, tout, ce qui me passe par la tête. Histoire d’avoir un peu de recul plus tard sur ce qui me tracasse, ou m’interroge. D’avoir une idée précise de mes préoccupations du moment; et d’en constater rapidement l’inconséquence.

Et puis, c’est devenu un rituel aimé : je note cette dernière phrase juste avant de partir :

Aujourd’hui, je fais quoi ?

Je la souligne. Et je liste. Le trajet pour le boulot, les courses à faire, le rendez-vous médical à prendre, telle fiche à compléter, tel article à écrire, tel dessert à préparer, telle personne à appeler, telle tâche à réaliser.

Je note tout, jusqu’à la moindre petite action. Et à plusieurs moments du jour, je reviens à ma liste. Elle me porte, m’ôte le poids inutile de la réflexion, et surtout cette sensation épouvantable et presque constante de n’avoir rien fait. De n’avoir pas fait. Pas fait assez pour moi. Pas fait assez de place à ce qui compte à mes yeux. Laissé encore cette journée être, sans être assez pour moi. Utile. Rentable. Productive.

J’ai commencé à faire cette liste pendant le confinement. J’étais à la maison, sans perdre ce temps fou dans des trajets toujours plus mangeurs de temps, je me devais de rentabiliser ce temps précieux en quelque chose pour moi.

J’ai décidé de me lever tôt. Et aussi de regarder les choses en face. J’ai listé avec honnêteté mes désirs et ma réalité.

Le 30 juin, j’ai fait pour la première vraie fois, un bilan. Quelle ne fut la surprise en constatant la multitude de choses faites. Le nombre d’actions entendues et réalisées.

Nous sommes trop dures avec nous-même. Nos cerveaux, habitués aux multitâches constantes et quotidiennes nous en demandent toujours plus et nous obéissons. Ce que nous oublions sans cesse, c’est tout ce que nous avons réussi à faire jusque là. Nous sommes tellement happées par ce qui est à venir que nous avons oublié de regarder derrière, et d’ être fières du chemin parcouru.

Quelle est cette tâche, même toute petite, que nous voudrions avoir réalisée ce soir, en nous couchant ?

Où a-t-elle trouvé sa place dans cette journée, et pourquoi a -t-elle été une priorité ?

Quelle autre chose n’ais-je pas eu le temps de faire à la place ? Est ce si grave ?

Notes du 17 juillet : levée 6h46, je pense à mon fils, mon premier bébé, né à cette heure un matin de janvier il y a trop longtemps, je saute de mon lit tellement la fatigue me terrasse. Brume sur la rivière, j’ai la tête embrumée, usée. C’est le dernier jour avant les vacances de l’été. Demain matin peut-être, dormir un peu plus ? Aujourd’hui je fais quoi : -poster un article sur Blue – Commencer à écrire « ##### » – envoyer un message à ### -terminer travail ### – laver pull en cachemire noir- ranger bureau -regarder un film -me préparer une salade croquante – commander du café.

Cette petite liste sans prétention, des choses banales, une vie simple et tranquille, ces petites choses ne se font pas toutes seules. Elles sont petites mais ne méritent pas l’oubli.

Listez les milliers de toutes petites choses dont vous remplissez vos vies, ne serait-ce qu’une fois pour voir… Listez et regardez d’un peu plus près où il est possible de faire de la place. Il y a toujours de la place. C’est une histoire de temps que l’on a, de temps que l’on prend. De temps que l’on s’autorise à prendre.

Je vous embrasse, prenez soin de vous,

Cenina.