Chuchotements intérieurs Conversation avec Soi-même La Femme S'entendre

Ma façon d’être au monde

J’emprunte ce titre merveilleux a un livre lu il y a quelques années, un roman de Camille Anseaume.

Quelquefois, dans un film le plus souvent, ou dans un train, un lieu d’attente, j’aperçois un corps, un contour, une femme souvent, un personnage et l’idée que je m’en fais, l’image que j’en perçois résonne en moi. Je crois deviner une sûre façon d’exister pour cette personne inconnue. Je veux dire, il y a dans l’attitude de cet(te) autre, dans le contour de son visage, ou simplement ses traits, quelque chose qui me souffle : c’est cela, se sentir soi, se sentir bien, se sentir à sa place. Je fais erreur, c’est sûr, tout cela est le fruit de mon imagination, de ce dont je rêve pour moi-même que je projette simplement sur l’autre et pourtant, la sensation est très forte de presque toucher du doigt, ce qu’il me faut.

La fatigue et la peur

Ici, la fatigue s’éparpille dans la maison, elle emplit les plus petits creux, et me fait oublier qui je suis. J’agis en fonction de au lieu de vivre ma petite vie. J’attends le train suivant, je tiens bon et c’est quand j’en suis là que je sens que quelque chose a disparu.

Je perds ma façon d’être au monde. Je marche pliée, voutée, usée. La peur est mon amie. J’écoute le bruit du monde, j’en fais partie, je me laisse emporter par la vague d’inquiétude, de la morosité. Pire, je la nourris.

J’oscille constamment entre hauts et bas incroyables. Je lutte contre ce que je pense être une fragilité. Je crée des cases que je bricole pour ranger mes colères, mes frustrations, ma jalousie, mes échecs. Je me laisse déborder d’allégresse, d’idées envahissantes qui me dévorent, de milles actions possibles dans une seule même journée. Je me couche frustrée tous les soirs, grignotée, rongée même de cette sensation de vaincue. Je souffle chaud et froid, je peste et râle, je souffre et supplie. Je suis perdue.

Se détacher

Un temps, je mets en boite, je range, je liste, réorganise, re-note, re-dis comment et à quelle heure, la maison est refaite du sol au plafond et puis soudain, c’est trop, je ne me sens pas mieux, je suis épuisée, je lâche tout le bordel, me déshabille, défait mes cheveux trop serrés, fatigués d’être enroulés sur eux-même. Je réalise combien ils ont poussé.

Je regarde les traces sur ma peau, les cicatrices, les élastiques, les manches et les agrafes. Je me détache de tout. Je défais les bracelets, les bijoux. Je passe mon corps sous l’eau, tour à tour brûlante ou fraîche, je réveille ma peau, j’éparpille le trop plein, tant pis, tout partira, j’abandonne l’idée même de contenir un moi qui n’a pas de définition propre. Je lave l’usure. Je fais peau neuve.

Le repos et le temps

Je dors longtemps. Beaucoup. Je lâche l’idée de me tenir bien sage, bien droite et bien rangée. Je regarde le ciel, vraiment, de longs moments comme ça, le nez en l’air, calant mon regard sur le rebord du toit qui ne bouge pas pour laisser mon coeur défiler avec les nuages, tourner tout doucement au rythme de la terre, que je ressens à nouveau.

Je passe des jours, lavée de tout, démaquillée, saine et légère du reste du monde. Je redessine mes contours, ma façon d’être au monde. Je ne cherche plus rien, j’attends ce que le simple a à me dire. L’essentiel de la vie ici, ce à quoi ce confinement oblige. Rester là.

Je réalise que les plants de framboises m’offrent leurs fruits sucrés pour la cinquième fois cette année, que le soleil dépasse enfin la crête bleue vers dix-heures trente, que les deux cheminées de la maison de Pierre ont des formes différentes, que j’aime être dehors quand le son métallique de la boîte aux lettre résonne, que je tiens plus longtemps, assise figée, à méditer sur la chaise à bascule bleue, et que mon corps est ma maison.

En vrai, j’oublie de réfléchir, je cesse de me comparer, je n’attends plus de « oui », et me détache de « non » qui peuvent être douloureux. Je regarde en arrière les milles et belles choses déjà faites, j’ apprends à respirer, je me niche en moi-même. Je porte des robes à fleurs et des collants doux, j’agis avec passion ou je n’agis pas, je me repose quand j’ai besoin, je niche dans mes cheveux un papillon dôré qui me souffle des secrets et dans le creux du cou deux gouttes parfumées.

Je ralentis. Je sens. Je vis Novembre à petits pas. J’écoute. J’entends. Je quitte le bruit du monde et me met à l’abri.

Silence. Je découvre ma vraie façon d’être au monde.

Chuchotements

Etonnament, c’est quand je quitte ce désir d’être à la hauteur, que je deviens riche de moi-même, que j’entends et découvre les ressources que je couve. Que j’entrevois qui je suis et ce que je veux faire. Loin du bruit, des fards, de la comparaison, du jugement, le son s’apaise et j’entends les chuchotements intérieurs. Et je peux avancer.

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